Couverture livre BistroCouverture livre Bistro
©Couverture livre Bistro|Michel Thersiquel
Bistro : l'autre abri du marin

Bistro : l’autre abri du marin

Je m’appelle Lenaïg, je viens d’arriver à l’office de tourisme du pays de Douarnenez en alternance pour un an. Originaire du sud Finistère, j’ai plaisir à redécouvrir le territoire et ses secrets. Au fil des semaines, j’ai pu constaté que Douarnenez était une petite ville qui a beaucoup d’histoires à raconter. Ville animée, Douarnenez n’a cessé de me surprendre.

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Le bistro des années 20

Grâce à l’office de tourisme, j’ai eu l’occasion de visiter le Port-musée, avec ses bateaux à voile qui m’ont tout de suite transportés dans le monde marin. Ce que j’ai préféré en visitant le musée avec Pierre, médiateur culturel au sein du musée, c’est l’exposition intitulée « Bistro » qui a attisé ma curiosité.

Le bistro des années 20, un voyage dans le temps dans le vieux Douarnenez. Je rentre directement dans le bain, le bistro de l’époque était fréquenté par des marins, mais surtout, il était tenu par des femmes ! D’ailleurs, un registre des bistros à Douarnenez démontre que la majorité des bistros étaient tenus par des femmes. Je me suis plongée dans cette ambiance grâce aux bandes-sons qui témoignent et racontent la vie des bistros par les bénévoles du projet. J’écoute d’une oreille attentive Anna, une bistrotière qui me raconte son quotidien.

Ça m’a mise face à la réalité d’autrefois : les marins partaient à la semaine et revenaient au bistro du coin. Chaque équipage avait son bistro. Les bistros étaient ouverts tôt le matin pour pouvoir accueillir les marins et fermaient en fin d’après-midi. Le bistro vivait selon l’équipage du bateau et non l’inverse.

Anna, bistrotière des années 30
Anna, bistrotière des années 30
Interprétation d'une bistrotière des années 30 par une bénévole du projet

Les bistros, pas qu'un simple abri

Les bistros n’étaient pas seulement une expansion de la vie à bord, mais aussi une banque. Mais pourquoi le bistro marin était aussi une banque ? Tout simplement parce que les banques n’étaient pas ou peu développées en Bretagne. Dès 1904, les pêcheurs du sud Finistère ont dû faire face à la crise de la sardine. En 1913, le législateur du crédit maritime facilite les activités liées à la pêche. Au fil du temps, les activités bancaires se sont développées au service de l’ensemble de la filière. Mais au début, les gens n’avaient pas l’habitude de fréquenter les banques, le bistro faisait office de banque avant que le crédit maritime ne soit démocratisé.

20160528-perrot-joel-nf-rg-02-banque.mp3Joel Perrot nous raconte que le bistro était autrefois la banque des marins.
Joël Perrot a dit :

Les bistros prêtaient de l’argent, ils donnaient des sommes. […] et les gars ils rendaient jusqu’au dernier centime.

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Les caisses de vin rouge

Je suis admirative de la relation de confiance qui était établie entre les marins et la patronne du bistro.
L’exemple des caisses de vin rouge qui partaient à la semaine en témoigne :l’équipage prenait une caisse de vin pour un jour, c’est à dire 15 bouteilles. Le bistro faisait crédit des « casiers de pinards »comme le dit si bien Joel. A la fin de la semaine, le bateau remboursait la patronne.

20160528-perrot-joel-nf-rgdepart-sardinier.mp3Joel Perrot explique que le bistro donnait des caisses de vin pour son équipage chaque matin.

L'abri du marin

Jacques de Thezac, vers 1910
Jacques de Thezac, vers 1910
Création de l'abri du marin

Les bistros n’étaient pas seuls lieux de refuge pour les marins. Un certain Jacques de Thézac, philanthrope, invente « L’abri du marin ». C’est un refuge pour les marins où l’alcool est prohibé : les marins pouvaient y dormir, jouer aux cartes, lire et écrire. Tout ce qu’il fallait pour s’échapper de la vie en mer.

Le Bistro des années 50

Mon périple temporel ne s’arrête pas là : le bistro des années 20 laisse place à celui des années 50. Je remarque une chose, qui peut vous sembler anodine aujourd’hui mais qui à l’époque avait son importance : les bistros voient leur clientèle se diversifier. Les hommes de l’usine viennent au bistro après leurs journées de travail. Le bistro doit s’adapter, et le comptoir passe à « hauteur de coudes » car les gens restaient plus longtemps.

Je suis admirative de la relation de confiance qui était établie entre les marins et la patronne du bistro. L’exemple des caisses de vin rouge qui partaient à la semaine en témoigne : l’équipage prenait une caisse de vin pour un jour, c’est à dire 15 bouteilles. Le bistro faisait crédit des « casiers de pinards » comme le dit si bien Joël. A la fin de la semaine, le bateau remboursait la patronne.

Bistro années 50Bistro années 50
©Bistro années 50

"Casser la caisse"

20161105-nouy-losq-rg-nf-casser-la-caisse.mp3René Losq - Casser la caisse

Messieurs Nouy et Losq racontent que les marins allaient au bistro pour « casser la caisse ». En prévision des saisons plus difficiles, pour éviter de piocher dans les économies familiales, ils divisaient les parts entre eux et gardaient une part sous le coude. Ils discutent de cette pratique autrefois très répandue dans tous les bistros de Douarnenez.

Les marins rentraient souvent à la maison avec un paquet de gâteau dans la poche, si jamais la pêche n’était pas bonne !

L’anecdote sur le paquet de gâteau amuse beaucoup ces deux hommes, on sent très bien qu’ils se remémorent cette scène.

Le Bistro des années 80

Un autre saut dans le temps, dans les années 80 où le bistro a changé totalement de fonction. Les marins ne fréquentaient plus les bistros, à cause de l’évolution technologique. Un témoignage m’a fait beaucoup sourire, celui de Jean Pencalet. Il explique qu’avec l’arrivée des voitures, les femmes venaient chercher leurs maris au port, les marins restaient plus en famille et retrouvaient de moins en moins l’équipage.

La clientèle ayant changé dans les années 80, les habitudes ont également changées. Les bistros ont changé leur environnement, avec des Jukebox, des baby-foots ou bien encore des jeux de cartes. Les bistros accueillent des femmes, des enfants, des jeunes et des moins jeunes. Le bistro devient un endroit festif comme on connait aujourd’hui.

20170702-jean-pencalet-jjc-04-finbistrots.mp3Bande son de Jean Pencalet

Les vins d'Algérie

Bien que les fréquentations des bars aient changé à Douarnenez, il y avait toujours autant de monde. Le vin rouge d’Algérie est présent sur les tables et aux comptoirs de tous les bistros du Finistère à partir des années 60.

Les habitudes de consommation évoluent à partir des années 20, le cidre étant trop cher pour la classe moyenne.

Au début des années 50, 97% des vins mis en circulation proviennent d’Algérie. Impressionnant, n’est-ce pas ?

L’exportation des vins en France depuis l’Algérie au XXème siècle augmente au fil des décennies et va atteindre les 16 millions d’hectolitres par an.

Les vins qui arrivent sont vendus à des grossistes et détaillants qui mettent en bouteille et étiquettent à destination d’une clientèle de proximité. Vous pouviez retrouver des vins du bar local, mais en provenance d’Algérie.

Un projet de solidarité

20161105-nouy-losq-rg-nf-01-transmission.mp3Nouy - Losq - La transmission

Maintenant que notre voyage dans le temps est terminé, je vais vous parler de l’aspect du projet qui m’a plus touché. Le projet est né d’un travail collaboratif entre le Port-musée, l’association Emglev Bro Douarnenez et des bénévoles, principalement de Douarnenez : Marins à l’ancre. J’ai tout de suite été interpellé par la ferveur de projet, notamment par les bénévoles : des soirées ont été organisé pour échanger, transmettre des connaissances familiales, beaucoup étaient soit de la famille d’un marin soit de la famille d’une patronne de bistro. Cet aspect collaboratif m’a touché et donne un autre ton à ce projet qui prend une toute autre dimension, les bénévoles se sont sentis impliqués dans la réalisation de ce projet.

J’espère que ce voyage temporel à travers les bistros de Douarnenez en ma compagnie vous aura plu.

A bientôt sur Douarnenez !

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